mardi 23 août 2011

Le cercle de jeux Wagram, objet de convoitise du grand banditisme corse


Depuis le 8 juin, le Cercle Wagram, à côté des Champs-Elysées, est fermé. Une fermeture administrative qui a accompagné la trentaine d'interpellations et la demi-douzaine de mises en examen pour "association de malfaiteurs, extorsion de fonds et blanchiment en bande organisée", prononcées le 11 juin par les juges Serge Tournaire et Hervé Robert. Sans compter les mandats d'arrêt lancés contre trois fugitifs. La réponse policière à une tentative de putsch menée en janvier par une équipe du gang corse de la Brise de mer, venue manu militari reprendre le contrôle du cercle qu'il partageait naguère avec une autre faction.

Voilà des années que certains cercles de jeu parisiens sont devenus le terrain de bataille du grand banditisme corse. L'épisode dont ont été indirectement témoins les policiers, le 19 janvier, confirme qu'une lourde guerre de succession y fait rage, comme dans les années 1970. Repérant d'importants mouvements sur le compte bancaire d'un croupier de Wagram, les policiers avaient discrètement "branché" les dirigeants du cercle début janvier.

C'est ainsi qu'ils assistent en "direct live" à la prise d'assaut de la salle de jeu, par une équipe de gros bras. "Qu'est-ce que je dois faire ? Que voulez-vous que je fasse ?", implore d'une voix blanche, sur les écoutes, le trésorier face à deux voyous du commando. "Que tu te casses maintenant, que tu ne mettes plus les pieds ici !", assènent les malfaiteurs, avec un fort accent corse.

Longtemps, Wagram avait vécu en paix, discrètement contrôlé par la Brise de mer, ce gang bastiais devenu l'un des premiers groupes criminels français. Depuis 2005, son conseil d'administration était présidé par Honoré Renon, dit "Nono", un paisible capitaine de police retraité de 65 ans passé par les RG, la brigade financière et la sous-direction des courses et jeux. Il avait remplacé à ce poste un autre flic, Charles Paganelli.

UNE GUERRE SOURDE

En France, les cercles de jeu sont étrangement un lieu de pantouflage pour des policiers tôt touchés par la retraite, mais soucieux de conserver niveau de vie et reconnaissance sociale. Mais ce ne sont parfois que des hommes de paille qui ferment les yeux sur les comptes opaques et offrent aux vrais patrons de ces établissements une totale discrétion.

De toute évidence, "Nono" n'était ni très actif ni interventionniste. Interrogé par les enquêteurs, il assure n'avoir "pas compris" que, mi-2009, un membre supposé de la Brise de mer, Angelo Guazzelli, frère du Francis assassiné en Haute-Corse, est devenu l'homme fort du Wagram. Angelo Guazzelli reste de fait en retrait, et se présente comme un producteur d'huile d'olive. Mais c'est lui, finira par reconnaître Honoré Renon en garde à vue, qui embauche et impose ses hommes de confiance : au grade de secrétaire, Jean Testanière, connu dans le show-biz pour son prétendu don de "mage". Et comme trésorier, Jeff Rossi : inséparable ami du gourou, logé gracieusement avec lui dans un bel appartement de l'avenue de Friedland (8e arrondissement) par l'ex-argentier du foot, Jean-Claude Darmon.

Les nouveaux maîtres des lieux ne sont pas au goût de tout le monde. Les ex-recrues de Richard Casanova, autre truand de la Brise de mer qui dirigeait auparavant le cercle en sous-main avant son assassinat en avril 2008, font grise mine. Perdant peu à peu du terrain, les protégés de Casanova quittent un à un la salle de jeu.

Une sourde guerre s'installe alors entre les "historiques", fidèles à Casanova, et les nouveaux propriétaires. En ce début d'année 2011, les premiers reçoivent le soutien de celui que l'on présente comme la figure montante du banditisme corse : Jean-Luc Germani. Ce lieutenant de feu Casanova, par ailleurs beau-frère du défunt, a décidé de veiller au patrimoine du truand bastiais.

CASTING D'EXCEPTION

Jean-Luc Germani veut réinstaller au 47, avenue de Wagram les anciens protégés de "Richard" : Philippe Terrazzoni, membre du comité des jeux de Wagram jusque début 2010, Hervé Pacini, un ancien "banquier" du cercle, ou encore Michel Ferracci, devenu acteur de la série de Canal+ "Mafiosa"… Le coup de force est préparé avec l'aide des plus gros voyous du moment : Antoine Quilichini, dit "Tony le boucher" et Stéphane Luciani – tous deux mis en examen avec Germani dans l'assassinat d'un neveu de "Jean-Jé" Colonna, en juin 2009. S'y ajoute une autre terreur, Frédéric Federici, le petit frère d'Ange-Toussaint Federici, incarcéré pour l'affaire de la tuerie des Marronniers de Marseille. Bref, un casting d'exception.

Le 18 janvier, veille du jour J, une ultime réunion rassemble les conspirateurs chez Sandra Germani, la veuve de Richard Casanova. La jeune femme dispose d'un vaste appartement de 230 mètres carrés proche des Invalides, loué la bagatelle de 7 000 euros mensuels par "Michel Tomi", a-t-elle expliqué aux enquêteurs.

Tomi ? L'homme des jeux et des réseaux africains, l'ami et le financier de Charles Pasqua – l'ex-ministre de l'intérieur l'avait autorisé à exploiter le casino d'Annemasse (Haute-Savoie). Un riche investisseur qui se montre de moins en moins en Corse, et que beaucoup soupçonnent d'avoir noué des alliances avec Casanova. Dépenses courantes, locations de 4×4, voyages… C'est lui, apprend-t-on dans le dossier judiciaire, qui entretient l'héritière du caïd bastiais.

IMPRUDENCES

Le lendemain, 19 janvier, le commando passe à l'attaque. Cinq hommes investissent le cercle en menaçant le personnel, qui s'enfuit sans demander son reste. Ni "Nono", l'ex-flic des RG, ni ses alliés, Jeff et le "mage", n'ont remis depuis les pieds avenue de Wagram. "J'ai peur…", "j'ai la trouille", répètent-ils, terrorisés, sur les procès-verbaux. Lorsqu'ils sont entendus, les policiers viennent pourtant d'opérer leur coup de filet.

Car la bande de Germani avait été prise en filature et photographiée. Les voyous avaient aussi été filmés par… les caméras de surveillance vidéo du Wagram, et leurs menaces enregistrées sur un téléphone resté allumé. Etranges imprudences, qui font depuis jaser dans toutes les prisons corses… Depuis ce ratage, Terrazzoni dort à la Santé. Germani, Luciani et Federici, en cavale, font l'objet d'un mandat d'arrêt.

Surpris de voir autant de beau linge sur un même "coup", les limiers de la police judiciaire en oublieraient presque leurs premières découvertes. Sous la "direction" du truand Guazzelli et d'Honoré Renon, l'ancien des RG, les affaires du cercle prospéraient grâce à diverses techniques encourageant le blanchiment d'argent. Car comme l'a soufflé le "mage" en garde à vue, "il est évident qu'ils n'étaient pas venus" reprendre le Wagram "pour faire du tricot"


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